Tritium dans le Rhône et dans les eaux souterraines proches du CNPE du Tricastin

11/11/2020 15:23

Le laboratoire de la CRIIRAD analyse la présence de tritium dans le Rhône et dans les eaux souterraines proches du CNPE du Tricastin. Le Média vous dévoile les conclusions de ce rapport commandé par Greenpeace.

Un nouveau rapport commandé par Greenpeace s'intéresse aux rejets radioactifs liquides de la centrale nucléaire du Tricastin. L'étude menée par le laboratoire indépendant de la CRIIRAD analyse la présence de tritium dans le Rhône et dans les eaux souterraines proches du CNPE du Tricastin. Le Média vous dévoile les conclusions de ce rapport.

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"La radiotoxicité du tritium semble avoir été largement sous-évaluée et peu de travaux existent sur les effets à long terme, notamment génétiques, de la contamination par ce radioélément" affirme un nouveau rapport commandé par Greenpeace que Le Média s'est procuré.

Intitulé "Synthèse concernant l'impact des rejets radioactifs liquides du CNPE du Tricastin", cette étude réalisée par la Commission de recherche et d'information indépendante sur la radioactivité (CRIIRAD), un laboratoire indépendant basé dans la Drôme, près du Tricastin, s'est concentré sur le tritium, un isotope de l'hydrogène. Il s'agit d'un élément présent à l'état naturel mais aussi émis par l'industrie nucléaire. Plus de 99,9% de la radioactivité rejetée par EDF en 2017 serait du tritium. 

L'étude analyse donc les données publiées par EDF et par l'IRSN concernant l'impact des rejets radioactifs liquides du CNPE du Tricastin dans le canal de Donzère-Mondragon, un canal de dérivation du Rhône qui borde le site nucléaire. Elle analyse aussi les fuites de tritium dans les eaux souterraines et les données sur la présence du tritium dans les eaux de surface et souterraines ainsi que la faune et la flore aquatique. Le résultat est sans appel et le rapport conclue que les eaux du Rhône sont contaminées.

Des inquiétudes très fortes sont exprimées concernant l'eau potable en aval du CNPE Tricastin, en particulier concernant le réseau d'adduction de Bollène-Mornas, caractérisé comme un secteur à risque. Il s'agit par exemple des communes de Lapalud, Bollène, Lamotte-du-Rhône, Mondragon, Mornas, Piolenc, toutes desservies par le Syndicat RAO (Rhône Aygues Ouvèze) qui assure l'alimentation en eau potable de plus de 71 000 habitants résidant dans 40 communes du Haut Vaucluse et du Sud de la Drôme. 

Or le tritium est un radio-élément qui se diffuse très rapidement dans l'environnement dans lequel il est assimilé par les organismes vivants : "les rejets de tritium entraînent ainsi une contamination étendue à de nombreux compartiments : air, eau, chaîne alimentaire, conduisant à une exposition très diversifiée des populations". Et le tritium pourrait entraîner des cassures des liaisons hydrogène, des modifications de la structure de l'ADN. "Cela modifie complètement la structure chimique des molécules concernées, entraînant l'apparition de nouveaux composés mutagènes" est-il écrit dans le document. Ce qui inquiète les ingénieurs de la CRIIRAD, c'est le risque d'ingestion du tritium : "une partie du tritium incorporé sous forme d'eau tritiée est assimilée sous forme organique (...) le tritium sous forme organique a une période biologique plus longue qui peut aller de un mois à un an selon le type de liaisons chimiques. Lorsqu'il est intégré à certaines molécules organiques, telle thymidine, le temps de séjour du tritium dans l'organisme humain est encore plus élevé (période biologique de 400 à 600 jours). Dans les végétaux, 80% de la quantité de tritium liée à la matière organique est intégrée aux molécules de structure (lignine, cellulose), le tritium est alors fixé à demeure." Et le rapport précise qu'"après ingestion d'une nourriture tritiée, l'activité fixée dans les tissus est plus importante qu'après ingestion d'eau tritiée. Divers mécanismes peuvent alors conduire, chez l'homme, au marquage en tritium de certaines macromolécules comme l'ADN. L'élimination du tritium étant alors très lente, les problèmes radiologiques posés sont beaucoup plus aigus." 

La présence en quantité croissante inquiète donc. Il s'agirait d'une "contamination chronique des eaux souterraines au voisinage de la centrale du Tricastin par du tritium d'origine anthropique", selon le CRIIRAD. Or cette dernière craint que cela ne puisse aller qu'en empirant puisque la centrale est l'installation nucléaire de la basse vallée du Rhône (en aval de Montélimar, dans la Drôme) qui rejette le plus de tritium dans les eaux de surface, soit directement dans le fleuve, soit dans ses affluents. Ce site nucléaire est aussi vieillissant, laissant craindre une aggravation des fuites dues à des défauts d'étanchéité des installations.

C'est la raison pour laquelle l'ONG Greenpeace demande une évaluation des incidences environnementales de la centrale. Alors que le premier des quatre réacteurs du Tricastin a 40 ans, l'ONG estime que les marges de sûreté qui se réduisent, justifient un arrêt. Afin d'obtenir cette évaluation, l'ONG a déposé un recours gracieux auprès de l'Autorité de sureté nucléaire (ASN) en mars 2020. Sans réponse, Greenpeace souhaite désormais introduire un recours devant le Conseil d'Etat. Pour cela, l'organisation internationale s'appuie sur la Convention d'Espoo, sur l'évaluation de l'impact sur l'environnement dans les contextes transfrontières. Dans le cadre de cette convention, une centrale Belge, Doel, a été condamné en 2019 à réaliser cette évaluation d'impact avant de prolonger deux de ses réacteurs.

Contacté, EDF estime que "les mesures effectués sur le périmètre de la centrale EDF et son environnement n'indiquent pas de volume de tritium dépassant les seuils autorisés par l'arrêté de rejets" et que "la surveillance renforcée en place permet de confirmer que les prélèvements issus des piézomètres situés en bordure externe de la centrale ne montrent pas de différence avec ce qui est habituellement observé."

Pour en discuter, Le Media a interviewé Roger Spautz, chargé de campagne sur le nucléaire à Greenpeace, commanditaire de l'étude, et Bruno Chareyron ingénieur en physique nucléaire et directeur du laboratoire de la CRIIRAD, auteur du rapport.

AFP